lundi 9 avril 2018

Un hiver, des hommes et femmes en détresse ***

Coup sur coup, on a lu deux ouvrages québécois merveilleux, qui ont diverti notre lassitude de lectrice, fomentée par des romans où rien d'original n'afflue. Ces deux livres — un roman, un récit — subliment un amour inconditionnel pour l'enfance retrouvée, loin des états d'âme de jeunes femmes qui nous rapporteront la même histoire dans un an ou deux, avec un partenaire différent. Une autofiction ne doit pas être un confessionnal. On commente le roman d'Éloïse Simoncelli-Bourque, Poudreries.

Deuxième opus de cette auteure qu'on découvre aujourd'hui avec une histoire complexe. Trois conflits vont s'ajouter les uns aux autres avant de s'amalgamer tragiquement à la fin du livre. Une seule note d'espoir réconciliera le lecteur avec la certitude qu'il est possible de traverser bien des épreuves, de s'aimer sans trébucher sur les vicissitudes imprévisibles de la vie.

François Poirier, garde-parc au mont Saint-Bruno, accompagné de René Lanctil, naturaliste de ce même parc, alerté par un skieur, découvrira le cadavre d'un chevreuil décharné. Peu de temps après, sera assassiné le neuropsychiatre et professeur Jean-Louis Grandbois dans sa demeure somptueuse de Saint-Bruno. L'histoire s'amorce avec ces douteux points de repère qui ne feront que s'amplifier à mesure que le lecteur entrera dans cette aventure rébarbative. Les protagonistes, dont certains ont tenu un rôle dans le précédent roman de l'auteure — on ne l'a pas lu —, nous reviennent avec leurs déboires tellement humains. À commencer par François Poirier qui s'avère un ancien toxicomane, prisonnier d'une voix interne dénotant un cas majeur de schizophrénie. Les individus qui traversent le récit ont tous, sans exception, des ennuis d'ordre psychologique, que nous dépeint longuement l'écrivaine. Ils sont inspecteurs de police, archivistes, universitaires, chercheurs, ce qui nous vaut des pages extrêmement intéressantes traitant de sujets scabreux, qui font les manchettes de l'actualité. Il est question de compagnies pharmaceutiques et leur appétence à fabriquer et à vendre des médicaments au lieu de consacrer une part de leurs ressources financières à la recherche médicale qui enrayerait des maladies endémiques. On apprend que la rétinite pigmentaire, maladie dégénérative, peut être soignée au moyen d'une thérapie. Ces affections oculaires sont dues à un traumatisme stimulé par des scènes d'horreur. Comme en évoque Abraham Ashimov, juif nonagénaire aveugle, infirmier recruté par le docteur Josef Mendele, qui pratiqua dans le camp d'extermination d'Auschwitz, durant la Deuxième Guerre mondiale. Se dévoilent des agissements ostensibles de la famille Rockefellow, étouffés par le pouvoir de l'argent qui fera d'elle un empire intouchable. Plus à la portée du lecteur, se déroule un drame qui s'ajuste aux autres : Delphine, dix-sept ans, fille de l'inspecteur Scolvic, divorcé de Juliette Loranger, universitaire, a disparu depuis quelques jours. L'adolescente interviendra au long des pages, guidant, malgré lui, le lecteur dans le milieu peu recommandable de la drogue, dans le monde interlope des dealers. Chassé-croisé de personnages crispés, qu'ils tiennent un rôle déterminant ou secondaire. S'entraident ou s'ignorent, ce qui est le propre de l'être humain, parfois débordé par des événements qui le mèneront au bout de lui-même, de ses capacités cognitives à réagir. Épreuves desquelles il sortira grandi ou affaibli selon le comportement qu'il adoptera, éprouvé dès l'enfance. Chaque cas est disséqué jusqu'à emporter le lecteur dans une histoire ancienne relatée dans des carnets qui auraient appartenu à un dénommé Raymond Pearse, au début du vingtième siècle. Malheureusement, qu'elle soit personnelle ou publique, toute confidence intime n'est pas à mettre entre des mains faillibles. Ce qui occasionnera bien des problèmes mortifères aux membres de la famille Grandbois.

Les thèmes exploités par la romancière n'en valent pas d'autres parce que peu banals. Ils nous rappellent à l'ordre de notre impuissance face à la manipulation que peuvent exercer des individus sur leurs semblables qui, souvent, manigancent des complots qu'eux-mêmes, ayant été trop débonnaires ou despotiques, ne savent plus réfréner. Cependant, tant de bonnes ou moins bonnes intentions finissent par lasser, les chapitres entrecoupés de citations signées d'illustres auteurs rompent le rythme de ce que nous aimerions connaitre de la suite, stoppant l'élan imaginaire particulier à chaque lecteur. On ne sait par quel effet de lourdeur l'écriture engourdit les propos des protagonistes, trop souvent penchés sur les années de l'enfance et de l'adolescence. À l'inverse, on croit que ces années, blessées par des adultes maladroits et indignes, ne doivent pas prétexter les maux qui nous affligent quand toutes les innocences nous ont quittés, nous laissant pantelants devant les avatars mal décantés de notre jeune existence. Une dernière remarque qui nous a dérangée, le roman aurait mérité une révision linguistique plus rigoureuse, un resserrement de bavardages inutiles. Un essoufflement évident est perçu quand nous sont révélées les causes de l'assassinat du docteur Grandbois, banalisant l'ensemble du récit qui ne décolle que rarement, comme on dit communément. Ce qui est dommage, Élise Simoncelli-Bourque nous ayant intéressée de bien des manières intelligentes et passionnantes...


Poudreries, Élise Simoncelli-Bourque
Éditions Fides, Montréal, 2018, 270 pages