lundi 14 août 2017

L'éclatement éprouvant des deuils *** 1/2

Chaque livre qu'on reçoit fait fi des congés estivaux. On s'installe du mieux qu'on peut pour s'imprégner de l'histoire qui découle des pages agitées par la brise. On marche vers des paysages différents, celui de l'océan, malgré son vacarme, ayant notre préférence. Parfois, on s'installe confortablement à la terrasse d'un bistrot, autre vacarme. Puis, on porte notre attention sur un travail d'écriture qui a demandé plusieurs mois d'efforts pour aboutir à notre regard critique. On commente le roman de Louise Gaudette, Comme les nuages.

Il suffit qu'une voix se mette en branle pour que les autres leur fassent écho. Dans ce récit, il y en a cinq qui se joindront au deuil d'Élisabeth, qui a perdu sa fille Sofia à la naissance. Deuil d'autant plus éprouvant qu'Élisabeth n'est plus très jeune pour mettre au monde un enfant. Elle n'en désirait pas, la fibre maternelle s'est éveillée en même temps que son amour pour Saul. Comment faire pour alléger une telle douleur et surtout ne pas se culpabiliser, ce que fera la narratrice, ayant subi un avortement à vingt ans. Professeur de taï-chi, elle quittera Montréal pour séjourner à Cape Cod. Fuir sa douleur consolidera son couple, croit-elle, qui, depuis la mort de l'enfant, est ébranlé sur ses bases solides et profondes. Saul, clarinettiste, part en tournée en Europe avec son groupe de klezmer. Il est chargé d'une étrange mission : son père, issu d'une famille juive décimée dans les camps, lui demandera en son nom de visiter Auchwitz. Poids du passé et du présent dans la vie de cet homme qui ne désire que retrouver son épouse, Élisabeth. À Cape Cod, celle-ci a loué un cottage appartenant au vieux Théo, qui, lui, ne se souvient que de sa femme et de sa fille, l'une morte d'un cancer, l'autre dans un accident de voiture. Reprenant ses cours de taï-chi, Élisabeth fera la connaissance de Clara, qui ne sait assumer le bonheur : trop dépendante des hommes qu'elle aime, elle les étouffe. Ancienne danseuse, passablement alcoolique, c'est à la suite d'une imprudence causée par l'alcool, qu'elle a dû mettre un terme à sa carrière prometteuse. Enfin, il y a Sandrine, amie d'enfance, qui, séjournant en Inde, écrit à Élisabeth des lettres reflétant, sans en avoir conscience, la personnalité de cette dernière. Elle jurait ne pas vouloir d'enfant, amoureuse, elle remet en question cette décision, portée autrefois par un esprit indépendant qu'elle dénie depuis sa rencontre avec Peter...

Ces cinq personnages prennent la parole à tour de rôle. Ils s'entrecroisent et nous dévoilent ce qui a été, avant de se complaire dans ce qui n'est plus, mais surtout dans un présent alourdi de relents culpabilisants. Après que le malheur a fait de nous des victimes ostentatoires, clamant à petites doses les folies insouciantes de la jeunesse, comme s'il était de bon ton d'ouvrir les yeux sur soi au moment où s'accomplit ce que nous pensons inéluctable. L'avenir est-il si différent du passé, semble se demander le vieux Théo, qui a eu le courage de renier son fils devenu « un bon à rien », rassuré qu'il est de ne pas savoir s'il est encore en vie. Sur fond de rengaine mélancolique de Leonard Cohen, la vie des uns et des autres évolue, rythmée parfois de fausses notes, toujours en douceur, la révolte s'avérant ici sournoise parce que intérieure. Nous souvenant des nouvelles de Louise Gaudette, Contre toute attente, on se rappelle les murmures et les grommellements plutôt que les lamentations et les cris...

Tout dans cette fiction se rapporte à l'actualité quotidienne, sevrée de faits divers que nous lisons avant de les soustraire à des événements plus graves. Les nuages s'amoncellent, il pleut des larmes, crissent des grincements de dents, il faut attendre des jours lumineux, déjà avivés sous la plume poétique de Louise Gaudette, autant discrète que ses protagonistes. Faut-il minimiser les deuils qui ne s'altèrent pas toujours de leur propre poids ? Au cours de notre lecture, Élisabeth nous a un peu agacée, son obstination à vouloir un enfant se résumant au remords de s'être fait avorter à vingt ans. C'est du moins ce qu'on a ressenti même si on convient que la mort de Sofia a déclenché une part de lucidité en ceux et celles gravitant autour d'Élisabeth. La grâce revient à son amie Sandrine : de l'Inde, elle lui expédie un livre qui l'apaisera. Sandrine, sorte de miroir reflétant Élisabeth, ne répétera pas les mêmes erreurs. Moins passive et surtout s'attardant à de lointains horizons, Sandrine tiendra compte de ce qui la diffère de son amie et bousculera les convenances établies.

Roman intimiste, féminin par excellence, qu'on a lu plaisamment en se disant une fois encore que la tendresse n'a d'égale que perçue sous la plume talentueuse d'écrivaines délicates, craignant heurter la sensibilité de lecteurs et lectrices. De cette fiction, chacun et chacune trouveront suffisamment de repères familiers pour se délecter d'une histoire — on devrait dire cinq — amorcée en filigrane. La vie, la mort, n'inspirent-elles pas des thèmes universels qui ont pour mission d'adoucir nos angoisses les plus imprévisibles ? De revenir à plus d'humilité quand un deuil envahit le bleu de notre ciel, l'assombrissant de nos fractures émotionnelles ? Comme les nuages...


Comme les nuages, Louise Gaudette
Éditions de la Pleine Lune, Lachine, 2017, 140 pages