lundi 27 janvier 2014

Le temps d'après *** 1/2


Aphorismes. 1 - Il dit que la passion se nourrit et s'abreuve de ses propres flammes, qu'elle se passe de l'amour physique. Il ne dit pas " sexe " mais " amour physique ". Langage de troubadour. 2 - Quand nous écrivons, nous devons le faire inconsciemment. 3 – La confusion des sentiments, ou le monde perçu à travers un prisme aux dimensions gauchies, contre lesquelles nous nous cognons, aveuglés. On se penche sur le récent roman d'Aki Shimazaki, Yamabuki.

C'est toujours avec une avidité curieuse qu'on attend la parution d'un roman de cette écrivaine. Le premier nous ayant subjuguée, on a continué à la lire sans jamais être déçue. Après avoir refermé le livre, on s'interroge : Que s'est-il passé au juste ? Rien, serait la réponse spontanée qui jaillirait de nos lèvres. Pourtant, Aki Shimazaki agite un monde apparemment immobile ; on évoque l'éruption prochaine d'un volcan, des fonds sous-marins à la veille d'un tsunami. Des mondes pacifiques se mettant soudainement en colère.

Après cinquante-six ans de vie commune avec son mari — son samouraï —, Aïko Toda se remémore sa vie auprès de cet homme pour qui elle a ressenti un coup de foudre dans le train qui l'amenait à Tokyo. Son premier mariage raté, sa jeunesse dans un Japon fragilisé par la guerre. La trame intimiste ne diffère pas des histoires précédentes que narre une femme souvent blessée par un événement d'ordre familial ou socio-politique. Le pire est passé quand Aïko prend la parole. Son existence est devenue paisible après des tourments qui n'ont eu de cesse de la faire s'interroger sur elle-même, sur les traditions japonaises, sa culture, les rapports entre les hommes et les femmes. Zakuro, sa petite-nièce, figure de la nouvelle génération, va bientôt se marier. Elle symbolise le Japon moderne mais envie le bonheur de sa Tante Toda, n'étant pas convaincue d'assumer le sien avec autant d'accomplissement. Il y a aussi madame S., une voisine, qui représente l'image traditionnelle d'un certain Japon. Si Aïko Toda enseigne l'art de vivre sereinement à la plus jeune, elle s'étonne des bouleversements qui, pour le mieux, ont changé l'existence de madame S. Vision contradictoire d'un Japon écartelé entre le modernisme et le classicisme.

Le présent se heurte au passé. Le Japon en guerre assujetti aux Américains. La foi entêtée des Japonais, tel Tsuyoshi Toda, le mari de Aïko, cadre dévoué de la compagnie Goshima pendant une trentaine d'années. Celui-ci, constamment, a travaillé à la reconstruction économique et la liberté de son pays. Les femmes n'ont pas manqué, plus discrètement, de jouer un rôle bénéfique dans l'essor de l'empire nippon. Tsuyoshi mentionne qu'il doit la réussite de sa carrière à la loyauté de son épouse. Autre symbole de la vie d'Aïko Toda, la fleur jaune du yamabuki. Son premier mari lui en avait traduit la signification négative, alors que le second se réjouit de cette petite fleur imprimée sur son chemisier. Jusqu'à sa mort, son samouraï lui chantera la beauté du yamabuki à qui Aïko ressemble. « Des phrases courtes, comme un haïku. »

Dans notre monde bousculé par d'intarissables remises en question, nous nous interrogeons avec humilité sur l'intégrité indéfectible des protagonistes dépeints par Aki Shimazaki. Pluie et promenades adoucissent les certitudes ébranlées par le malheur, les rendant floues, jusqu'à gommer l'insupportable. Défiant les obstacles que les Japonais de la génération de Aïko Toda ont dû surmonter. D'une écriture lisse et concise, l'écrivaine nous gratifie d'une histoire tendre, riche en émotions. Sensitive, Aki Shimazaki clôt avec ce livre le cycle romanesque, Au cœur du Yamato. Le Japon, embelli de la sobriété de la langue utilisée par une Japonaise attachée à son archipel, se révèle fascinant et digne. Prise de conscience se reflétant dans la fleur du yamabuki, comme si elle avait servi de phare lumineux à la narratrice pour faire revivre des personnages fiers et indomptables.


Yamabuki, Aki Shimazaki
Leméac / Actes Sud, Montréal / Arles, 2013, 140 pages