lundi 23 septembre 2013

Les vertiges underground *** 1/2

Fréquentant les galeries d'art, on a découvert une artiste peintre merveilleusement douée. Des aquarelles, des gouaches. Luminosité et savant dosage de tons pastel et mordorés créent une impression de perspective inégalée. Des bords de mer, des bords de routes, de sentiers, de forêts, tels des mondes extrêmes où pénétrer. L'âge certain de cette Montréalaise lui confère une expérience picturale qu'elle ne trahit jamais. En cette fin d'été, on parle du numéro 115 de la revue XYZ. La revue de la nouvelle.

Annonçons d'abord le thème, « Trou ». Il rassemblera dix nouvelliers, des jeunes et moins jeunes, expérimentés dans l'art de la nouvelle. De la naissance à la mort, ne sommes-nous pas les proies d'orifices, en nous, autour de nous, humains et objets, sur lesquels nous nous agrippons ? Événements imprévisibles qui nous précipitent dans un néant lacunaire selon la gravité des blessures. Comment s'en relever, sinon dépeindre la faillite de nos propres cavités en compagnie d'écrivains qui nous racontent tendrement ou plus durement l'expérience de personnages de papier. Épinglés à l'imaginaire fictif, à la réalité inévitable, n'importe, les dires de chacun d'eux nous ayant sollicitée. Deux petits trous vus par Jean-Paul Beaumier, narrent l'appréhension d'une fillette qui va se faire percer les oreilles. Son père écoute ses craintes, se demandant pourquoi Léa n'évoque jamais sa mère « endormie pour toujours », refuse d'en parler. Deux petits trous évocateurs qui rejoignent Le petit, « tout près de la musique », court texte pathétique signé Benoit Cayer. Plusieurs enfants interviennent dans ces trous vertigineux, leur émergence soulage la mémoire défaillante parentale, comme dans la nouvelle d'Anne-Marie Teysseire, Ils étaient trois petits enfants. Une mère qui, le matin en se réveillant, ne sait plus ce qu'elle a fait de ses bambins. Ont-ils seulement existé ces trois enfants de papier ? Il y a aussi Le cercle d'Hélène Fafard qui donne la parole à une mère épuisée par la débilité de son fils de vingt ans. Ne pouvant compter sur la responsabilité du père, elle décide de franchir la ligne de son propre cercle infernal. Cicatrice au cœur et au ventre. Mais la nouvelle qui arrache les entrailles est celle de Maude Poissant, La chair. Frédo et Béa, détestés de leurs parents ivrognes et débiles, isolés dans une cabane immonde, profitent d'une ultime occasion pour s'enfuir à cheval au-delà de la forêt ; ils espèrent que les chasseurs viennent à leur secours. Nouvelle bouleversante où chaque mot dépeint la situation désespérée du frère et de la sœur, celle-ci handicapée. Le trou dans lequel ils vivent, le trou insatiable de leur espoir enfantin les font déguerpir vers un trou encore plus profond, plus animal. Que valent humains et loups au fond d'un tel gouffre de décrépitude ? L'auteure nous répond. « Le sang appelle toujours le sang. »

Au hasard, on a choisi quelques textes éloignés des avatars douloureux de l'enfance. On a souri au trou du tapis de Normand de Bellefeuille. Trou qui lui échappe comme nous échappent les objets à qui nous ne prêtons nulle attention. Le narrateur a beau se questionner, il ne comprend pas la rupture entre l'objet et lui. Constatant que la déchirure s'agrandit, il n'a plus qu'à attendre « le plus calmement possible. » Fable surréaliste empreinte d'un humour angoissant, effleurement de notre regard sur les choses que nous jugeons insignifiantes. Une dent creuse d'Annie Perreault s'annonce dans la même veine, bien qu'il s'agisse ici d'un quartier. Où ne conduit pas la brisure d'une théière sinon à « une trace, une laideur, quelque chose comme une cicatrice [ ... ] » ? On a savouré cette petite dérive nostalgique. Les heures d'ensoleillement dénombrées par Camille Deslauriers, nous ont charmée. La théière fait place, avec plus de réalisme, à un jardin à cultiver. La narratrice, enseignante, se reproche de ne pas trouver suffisamment de temps pour « sortir le vendredi » avec son amant, faire l'enfant dont il rêve. Réflexions existentielles surgies parmi les hésitations de semences printanières.

Si deux ou trois nouvelles se sont esquivées, question de sensibilité, il ne fait aucun doute que ce dernier numéro est une réussite. Orchestré par Jean-Sébastien Lemieux, nouvellier lui-même, on ne peut que le féliciter de cette périlleuse entreprise. Il n'est pas simple de combler les trous sans risquer d'y tomber sans dommage.

On souligne la qualité littéraire et l'originalité frémissante de la nouvelle de Johanne Renaud, Judith, lauréate du vingt-troisième concours de nouvelles d'XYZ. La revue de la nouvelle.


Revue XYZ. La revue de la nouvelle
numéro 115, piloté par Jean-Sébastien Lemieux
Lévesque éditeur, Montréal, 2013, 102 pages.

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