mardi 9 octobre 2012

Nouvelles éclatées ***

La rassurant sur les sentiments de son mari à son égard, elle nous répond en riant qu'on lit trop de romans Arlequin ! Songeuse, on se dit qu'il ne faut pas dénigrer ce genre de livres, s'ils convertissent une seule personne à des lectures plus sérieuses. On a terminé de lire le premier recueil de nouvelles d'Emmanuelle Cornu, Jésus, Cassandre et les Demoiselles.


Quarante nouvelles brèves, divisées en dix parties, chacune faisant intervenir un personnage féminin plutôt que masculin, entouré de Demoiselles. Les nommer importe peu, les filles ou femmes se reliant entre elles leur inventent une existence à rebondissements... On n'a pas toujours saisi les aboutissants de ces aventures intimes, mais le regard tendre ou narquois de la jeune auteure nous convainc de leur pertinence. Au hasard, on cite quelques titres. Cassandre et la culture des prunes, une petite fille timide se fait malmener par des compagnes plus hardies, Manon est là pour la défendre. Eluda-Louisiana et les Demoiselles, fabrique des breloques et, comme toute créatrice, en détruit quelques-unes. Cale sèche, Joëlle ne sait plus très bien où elle en est. Réfugiée dans une goélette, elle imagine tout perdre à la venue de l'hiver. Crevette sur fond de toile décrit le parcours artistique de Lysandre qui, doutant de son talent, a refusé les codes établis. Jésus, dans la salle de bain. Un enfant « embrouillé dans ses chimères » se débat contre le « citoyen » que peut-être il deviendra. Tu vas revenir dans quelques minutes, en camping, une jeune femme s'interroge sur le retour probable de son amante. J'ai un bureau qui brille ou le regard ironique d'une narratrice sur sa condition sociale.

D'autres fables plus hermétiques, non moins symboliques, valorisent bellement l'ensemble du recueil. Des femmes névrosées, témoins de leur propre drame, se glissent hors d'un temps réel qui ne semble plus leur appartenir, créant un effet funambulesque à mesure que les pages se tournent. Un univers enfantin fait place à un monde plus radical, celui d'adultes qui se cherchent au centre des méandres de leurs avatars. Un détail — un désir — déclenche une effervescence créative que ressent le lecteur. Emmanuelle Cornu ne manque pas d'humour acide quand elle se penche sur les aléas de la société actuelle. La nouvelle SUPER bouchée, grinçante à souhait, démontre la stupidité de Consuelo face aux objets qu'elle possède, qu'ils soient conséquents ou pas. Au volant de sa « SUPER bagnole », elle ne se rend pas compte du danger qui la guette, trop occupée à donner de l'importance aux superlatifs qu'elle utilise, l'empêchant de penser. Une étrange certitude se dégage de ces textes : une destruction mentale et physique quand plus rien ne va. Faut-il se laisser emporter par un vent violent avant de se poser sur un sol lisse et stable ? Un grand vent souffle sur ces textes originaux, que rythment des phrases concises, un apport parfois excessif de répétitions lancinantes.

Notons un riche imaginaire nourri, on le devine, d'expériences heureuses ou malheureuses survenues à l'auteure. Observant ses congénères, elle a capté dans un regard désemparé, dans un geste hésitant, une parole tremblante, d'inévitables déceptions. Si on privilégie le caractère conforme, aéré des nouvelles classiques, on ne peut douter du talent d'Emmanuelle Cornu. Animée d'une révolte intérieure inhérente à ceux et celles qui ont quelque chose à dénoncer, l'auteure se cabre, frémit, tel un animal indiscipliné refuse les affres de l'assujettissement. On attendra patiemment une deuxième parution de cette écrivaine à la plume acérée, ces récits s'avérant une étonnante promesse...


Jésus, Cassandre et les Demoiselles, Emmanuelle Cornu
Éditions Druide, Montréal, 2012, 208 pages

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