lundi 19 septembre 2011

La mort et ses vengeances ****

Aujourd'hui, on est offusquée par les nouvelles télévisées. On dit aujourd'hui, mais l'indignation fait partie de nos constantes interrogations. On n'a rien de particulier à mentionner, mais que d'hypocrisie dans les déclarations d'hommes ou de femmes politiques qui ne songent qu'à servir leurs ambitions. Que ces personnes soient d'ici ou d'ailleurs, elles génèrent une révolte contenue. Faudrait-il souhaiter une révolution planétaire pour remettre les pendules à l'heure ? On a lu les récits de Laurent Gaudé, Les oliviers du Négus.

Étrange descente aux enfers que manigancent ces quatre récits. Du monde moderne où le narrateur se démarque, il nous convie à regarder derrière notre épaule. Des histoires où la mort intervient pour se souvenir d'événements presque irréels. Le premier récit éponyme nous plonge au cœur des oliviers de Calena, en Italie, où Zio Négus vient de mourir. Le narrateur, qui fut son ami, raconte l'invraisemblable cheminement du vieux rebelle qui croit entendre l'empereur souabe, Frédéric II, chevaucher parmi le royaume des morts. En son siècle, le souverain a forcé les portes de l'abbaye de Calena, édifice appartenant à une riche famille italienne despote, qui en interdit l'accès malgré les suppliques des villageois et du curé. Zio Négus a participé à la guerre italienne en Éthiopie — d'où son surnom — et, revenu dans son fief natal, il ne cesse de narguer les habitants, les insultent, les méprisent, eux qui ignorent l'aberration des massacres. Les oliviers de Calena l'ont appelé, il leur parle, se confie au narrateur qui manifeste à son égard une amicale compréhension. Mais Zio Négus est mort et le narrateur, son épouse et ses enfants, assistent à son minable enterrement. En parallèle, à des époques différentes, Frédéric II et Zio Négus auront payé un lourd tribut, l'un, pour avoir eu l'audace de défier la mort, l'autre, pour l'avoir croisée de si près.

Le deuxième récit, Le bâtard du bout du monde, propulse le lecteur à Rome, au siècle de l'empereur Hadrien. Lucius, bâtard de l'Aventin, est citoyen de l'Empire, la Légion l'a fait. L'empereur l'a envoyé aux confins de Rome, dans un fort brumeux et pluvieux, « pays de nulle part », au bout du monde, éradiquer les Barbares. Or, le centurion qui, depuis trois ans, tient son poste, et que Lucius transpercera de son glaive, est son père. Poussé par une curiosité morbide, il partira avec quelques-uns des hommes, s'aventurera sur des terres arides, « non pour les conquérir mais pour les traverser. » Peu à peu, le mercenaire sent une paralysie gagner son bras puis tout son être. Lui et ses comparses seront attaqués par les Barbares, Lucius demeurera le seul survivant. « Le dernier Romain en terre étrangère. » Le fort sera endommagé par les nouveaux conquérants et quand, paralytique, Lucius rentrera à Rome, il se rendra compte que l'Empire vit ses derniers beaux jours. Disgracié par la Légion, réfugié en haut de l'Aventin, il se lamente sur son crime et sur son échec. Sur son amour pour Rome qui, comme lui, agonise.

Après la chute des pierres, nous essuyons la colère de la Terre. L'action se passe dans un village français en Artois, durant la Grande Guerre. S'inspirant du mythe juif du Golem, l'auteur, Laurent Gaudé, nous renvoie notre propre image. Nous devrons payer les crimes que nous fomentons à l'égard de la Terre. Sur le Front, la terre a été abandonnée des paysans, labourée par la mitraille, éventrée par les obus. Elle ne suffit plus à enterrer les corps. Alors, elle envoie aux humains un monstre glaiseux que les combattants et les paysans auront beau disloquer en sept morceaux, l'enfermer dans des caisses clouées, il se reconstituera de lui-même une nuit où le vieux Fosquin, qui devrait être déjà mort, décide de l'exterminer... Ce conte effarant s'intitule Je finirai à terre.

Un tombeau à Palerme se veut un hommage à la tragédie de Capaci, survenue en 1992. Le juge Paolo Borsellino se remémore les derniers moments de son « frère » Giovanni Falcone, qui a explosé avec son épouse, Francesca Morvillo, et leurs trois gardes du corps sur l'asphalte bourré de tolite. Paolo Borsellino se sait condamner à périr lui aussi dans un attentat similaire. Pendant quelques heures, il doutera de ses capacités à décapiter un autre monstre, la mafia. Il sera tenté de tout abandonner, s'accordera un semblant de liberté en déambulant dans un marché, sans escorte...

Si on a consacré une place inhabituelle à un auteur français, Laurent Gaudé, c'est pour le faire connaître au lectorat québécois. On a été impressionnée par le talent inimitable de ce jeune auteur, par les thèmes vastes, universels, qu'il aborde. Des histoires poignantes et dures imprègnent les quatre récits. L'écriture à la fois poétique et dense, le style incisif, ciselé, tel un détail de sculpture, s'accordent fatalement à prédire que, tôt ou tard, nos actes nous rattrapent d'une manière implacable. Laurent Gaudé a été lauréat du prix Goncourt en 2004 pour son roman, Le soleil des Scorta.

À lire et relire sans modération !


Les oliviers du Négus, Laurent Gaudé
Éditions Actes Sud / Leméac, Arles / Montréal, 2011, 160 pages