lundi 17 janvier 2011

Des univers cosmopolites ***

Il neige, le ciel est blanc, la terre est blanche. Impression fantasmagorique qui fait dire aux uns et aux autres que le paysage est sublime. Seuls les arbres dénudés apportent une touche réaliste. On ne revient pas d'une planète inconnue, nos pas s'inscrivent dans une matière crissante, bien réelle. On s'éloigne de ce monde silencieux pour lire les nouvelles de David Dorais, Le cabinet de curiosités.

Univers attractifs que ceux dépeints dans ces récits. Ils nous transportent dans des zones de reflets et d'ombres, parfois de mystère déroutant qu'il est préférable de ne pas toujours clarifier. L'interprétation se fait au cours de lectures successives, comme autant de couches granitiques relevées sur la croûte terrestre. Les nouvelles semblent sortir d'un fabuleux tiroir, fouillis d'instruments insolites. Parmi eux, se rangent aussi des livres qui se bâtissent une existence ordonnée, calquant leurs propos sur des personnages entretenant des rapports de bon voisinage. Un éventuel lecteur comprend mal que la fiction assujettisse une commune rationalité, d'où un malaise à feuilleter un livre, tel un objet de réjouissance, de fascination. La gemme noire n'est-elle pas synonyme du " mal noir " cariant les pierres précieuses ? Les nouvelles se rattachant aux enfants sont parmi les mieux réussies. On a particulièrement aimé Le petit noël aux marionnettes mettant en scène un homme ravagé par le chagrin. Ne pouvant se remettre de la perte de sa femme, il entraîne son fils dans un deuil inapproprié à son jeune âge... Dans La disparition, l'auteur narre l'emprise d'une mère sur son garçon. L'immense chagrin du père et l'aveuglement indécent de la mère s'inscrivent sous le signe de la mort, ornés d'une aura fantastique. Le texte Lustukru ? invente des monstres qui traumatiseront un enfant, feront plus tard de lui « un vieillard stupide, l'idiot du quartier ». D'autres récits propulsent le lecteur dans des mondes imaginaires participant à l'élaboration de paysages composés d'impressionnants décors où le promeneur solitaire se perd délibérément, confondant le jour et la nuit. Le vrai et le faux. Maëlstrom de sensations où la vie réelle est parfois inexistante. Au risque d'être grisé par d'extravagantes visions... Das Spukhaus. La vierge aux trois mains relate l'histoire d'un aventurier imbibé d'un passéisme pathétique. Près de Hyde Park, à Londres, dans un chic hôtel du XVIIIe siècle, Horace Stuyvesant exhibe aux membres du club une jeune houri contaminée par l'explosion d'une centrale qu'il a ramenée d'un pays innommé, qu'il est facile d'imaginer. Inévitablement, une conversation lubrique s'échange entre les « habitués de ces cercles éminents [...] laissant courir leurs regards sur chaque saillie » du corps de l'adolescente immobile. Un Américain qui a « fait fortune dans l'informatique » dévoilera le pot aux roses... Sujet scabreux que nous retrouvons dans des récits néocolonialistes ou des livres érotiques des années cinquante.

Aussi captivantes soient-elles, on ne peut citer toutes les nouvelles regroupées dans ce recueil. On a aimé Le saut du tigre, imagé de séquences rappelant les meilleurs films japonais du genre. Ce qu'il advient des petites filles emballées dans le plastique se déroule dans une atmosphère trouble et morbide, meurtrière et juvénile. Le texte Petit guide de la descente aux enfers nous a paru étiré, faiblesse de l'ensemble du recueil, comme si l'auteur voulait faire valoir son érudition concernant quelques titres. Pour conclure, David Dorais, n'omettant pas de se congratuler, fait un retour sur lui-même. Dans une librairie de livres d'occasion montréalaise, il a repéré un collectif d'auteurs de nouvelles. L'illustration de la couverture représente un objet qui l'étonne, l'intrigue. Un meuble, un cabinet de curiosités, comporte diverses figures singulières, comme celles dont l'auteur s'est inspiré pour inventer ses contes. Fabulation ou exactitude ? C'est à Paris que le fictif David Dorais élucidera le mystère de la gravure insérée dans un manuscrit nommé Descriptio completa mirabilium cameræ Basteli. Le lecteur aura droit à une description exhaustive de la chambre des merveilles signée Du Bastel, prouvant ainsi que ce cabinet a bien existé, qu'il a « survécu aux vicissitudes du monde durant plus de deux cents ans [...] ».

Recueil érudit, traitant de thèmes peu usités dans la nouvelle québécoise moderne. Le ton affecté s'amalgame parfaitement à une écriture recherchée, nécessaire au style que l'auteur utilise. Ouvrir un coffre, une armoire ou un livre fait surgir des êtres venus d'univers mussés dans l'enfouissement de notre mémoire assoupie. Monstres de l'enfance, sortilège de l'insolite, microcosme faunesque qui, durant les nuits d'insomnie, risque de nous happer. Avec un talent somptueux, David Dorais prend cette mythologie à son compte pour épater un lecteur avide d'histoires surnaturelles. Toutefois, on émet une réserve : la nouvelle s'insérant dans un genre minimaliste, le délayage descriptif de plusieurs d'entre elles nous a agacée, voire lassée...


 Le cabinet de curiosités, David Dorais
Éditions L'instant même, Québec, 2010, 227 pages