lundi 10 mai 2010

Les états d'âme d'un psychiatre *** 1/2


Après avoir pris les transports en commun, on se questionne sur la pertinence des gens à bousculer les passagers. Plus loin, nous nous étions retrouvés sur le quai du métro à attendre la prochaine rame. Ce fut pareil pour l'autobus... Pourquoi tant de précipitation inconsciente, pour ne pas dire tant d'angoisse à gérer ? La vie demande-t-elle que nous courions délibérément vers sa fin ultime ? Avant cette phase définitive, il y a des distractions à savourer, comme lire le dernier bouquin de Vincent Thibault, Les mémoires du docteur Wilkinson.

On a redécouvert dans ces cinq récits le style flamboyant du livre Le Secret Fardeau de Munch, signé Vincent Thibault, dont on avait dit grand bien au moment de sa parution. Du mystère, de l'humour, de la générosité englobent les déboires d'un psychiatre qui redoute de prendre sa retraite. L'appréhension de la solitude à venir le taraude d'où l'entrée en matière d'une chronologie à la fois empreinte de réalité et de fiction. Comme si de se situer dans le temps et l'espace donnait un sens plus véridique à ses propos. Particularité propre à l'auteur incitant le lecteur à se laisser emporter vers des voies personnelles. D'en tirer ce qui lui convient pour la suite de sa lecture. Ainsi, la première nouvelle s'ouvre-t-elle sur une solitude partagée avec un patient récalcitrant, mettant en doute les pratiques du docteur Wilkinson que depuis des décennies, de connivence avec le pharmacien, il exerce sur des malades conciliants. Le patient en question se montre rébarbatif, telle une conscience prête à se rebiffer. Le docteur Wilkinson n'aura pourtant qu'un regret, celui de ne plus revoir « jamais cet homme. » Il se trompe, car il reviendra deux fois : d'abord en chair et en os, ensuite par le truchement d'une lettre...

Dans le deuxième récit, Le Vol de la mouche, on entre de plain-pied dans la retraite du docteur Wilkinson. Pour déjouer son ennui et sa fatigue, il a décidé d'écrire ses mémoires, plus exactement de narrer des aventures survenues au long de l'exercice de sa profession. Ici, l'histoire s'avère policière, minutieusement psychologique. Une jeune femme, Sally, s'éprend d'un vil séducteur qui, évidemment, l'abandonnera avant de disparaître. Entre en scène le frère de Sally qui à son tour disparaît. Chassé-croisé entre les deux hommes, entre Sally et le docteur. Ce dernier finit par cesser toute agitation physique et, grâce à une mouche sur la chevelure de Sally, plus tard, à la taverne — l'histoire se déroule en 1942 —, « sur un vieux journal au coin du comptoir », « tout s'emboîta presque magiquement et les preuves ne furent pas difficiles à réunir. » Moralité : la jalousie transforme aveuglément le plus innocent d'entre nous...

Un alligator fera les frais de la troisième histoire. Le reptile se tient coi dans le salon, effraie les gens quand ils rentrent chez eux « au retour d'une partie de bridge [...] ». En plus, ces affreuses bêtes vident les coffres à bijoux : l'une d'elles porte un collier de perles autour du cou. Kodjo, le sorcier du village — nous sommes au Togo —, sera accusé d'user d'un sordide pouvoir : celui d'hypnotiser les reptiles. Il se réfugiera chez le docteur, lui-même victime de l'intrusion d'un alligator dans sa salle de bains, le suppliant de prendre l'affaire en mains après lui avoir raconté qu'un couple allait se venger de la mort de leur fillette soi-disant occasionnée par l'inefficacité de ses amulettes. Quand la vérité finira par éclater, nous mesurerons combien il est facile de berner les gens...

Les troisième et quatrième histoires se partagent entre l'innocence puérile et la crédulité absurde d'un homme en mal de sauver ses semblables. En premier lieu d'une maison présumée close puis d'un « brigand » au cœur tendre. Le docteur Wilkinson se fera l'apôtre de sentiments grandiloquents, démodés de nos jours. L'honneur chevaleresque, l'honneur de l'estime de soi et des autres. Le dernier récit, écrit par le père de l'auteur, Jacques Thibault, relate cinquante ans plus tard les mésaventures d'un jeune homme durant l'été 1919. Accueilli par des amis de ses parents, dans l'Isère, il s'émerveillera du site qui l'entoure, l'embellissant d'îles inventées, comme celle du comte de Monte-Cristo. Il découvrira dans la chambre du fils de ses hôtes, des disques d'une musique nouvelle en vogue dans les « boîtes parisiennes » : le jazz. Histoire à la fois touchante et cruelle, digne d'un adolescent de l'époque. Le vernisseur, confident de son remords, ne lui dira-t-il pas qu'il est douloureux de devenir un homme... Le contexte situationnel  voulait que les étapes de l'existence d'un humain puisent leurs sources dans l'échec d'expériences naïves mais rédemptrices.

Menés par une écriture maîtrisée, ces récits constamment nous font sourire, nous enchantent. Se regroupent des acteurs désignés par leur profession : le banquier, bien que celui-ci apparaisse parfois sous l'appellation amicale du « vieux Harry », le tavernier, le pharmacien, le maire, les clients du tavernier, ceux du banquier. Tous jouent un rôle déterminant, montant chacun à son tour sur les planches imaginaires d'un théâtre dressé par le docteur Wilkilson. Ne devrait-on pas plutôt mentionner un cirque ? En filigrane se profile le père Anton Moore qui, de temps à autre, intervient sous la plume inspirée de l'auteur. Verve intarissable de Vincent Thibault, effets de style brillants qu'il distille à ses personnages, laissant de côté le sérieux d'anecdotes pour le moins cocasses, ne retenant que la fantaisie de trames souvent loufoques. On n'a qu'un vœu à formuler : souhaiter la bienvenue au docteur Wilkinson dans la littérature québécoise !


Les mémoires du docteur Wilkinson, Vincent Thibault
Les éditions de la Pleine Lune, collection « PLUME »
Lachine, 2010, 138 pages