lundi 22 février 2010

Humains, rien qu'humains ***

Alors qu'on pestait contre le froid intense, une amie nous a fait remarquer qu'en février, autour de son anniversaire, un redoux cicatrisait les blessures des branches causées par les intempéries hivernales ; les écureuils folâtrent, les oiseaux piaillent,  claironnant que la froidure décline. Nous armant de patience, on a choisi de lire entre autres bouquins, le recueil de nouvelles de Claudine Paquet, Entends-tu ce que je tais ? Pour le meilleur, on a voulu répondre à cette question.

Nous le savons, les nouvelles en tous genres comptent parmi nos plaisirs de lecture. De l'une à l'autre, des univers se composent, parfois meurent. Histoires concises résumant des événements qui, en butte à la longueur du roman, risqueraient d'être  ennuyeux. Ces textes dépeignent des travers existentiels, humains, rien qu'humains. Aucune prétention littéraire n'encombre les voix se propageant au long des quelque cent pages ; nous les écoutons raconter leurs chagrins, leurs joies, se cherchant un confident qui resterait là en marge, témoin n'intervenant que par le truchement d'une compassion muette. Les voix se taisant, elles ont remué ce qu'il y a de fragile en nous : une eau agitée par nos réminiscences, se faisant l'écho de celles, éloquentes, énoncées par l'auteure.

Tout recueil de nouvelles étant inégal, on a préféré certains récits, par le fait qu'ils nous touchaient davantage. Se divisant en trois parties, le livre nous interroge avant de nous assurer que les ombres antérieures nous enchaînent aux vicissitudes de l'avenir. Puis, pour nous consoler de divers échecs, Claudine Paquet nous propose l'art comme dernier champ d'espérance.

La nouvelle qui donne le ton à l'ensemble, sous-titrée Le phare, met en scène un couple vieillissant se reposant sur une plage. « Allongé confortablement sur un transat », l'homme philosophe sur sa jeunesse perdue, sur celle de sa femme dont le corps n'est plus tout à fait ce qu'il était... Terminus témoigne de l'adolescence perturbée de Jonathan aux prises avec la drogue.  Le plus loin possible ramène le narrateur à Québec « prison au parfum de désespoir », aux obsèques de son frère, alors qu'il s'est exilé en France quinze ans plus tôt. Masque de cirque exalte le cri révolté d'une femme contre un homme superficiel et volage qu'elle a profondément aimé.  Et si je partais ? évoque encore une femme qui n'a pas le courage de rompre le quotidien insipide qu'elle partage avec son mari. Plus loin dans le recueil, Claudine Paquet nous rappelle le poids du passé à mesure que nous vieillissons, la place indélébile qu'il occupe dans nos souvenirs de jeunesse — Le Pont-de-Fer — ; la mort de Lysanne, victime de la tragédie du World Trade Center, narrée par son père, incapable de se remettre de cette Injustice. Dans Là-bas, un jeune homme de retour du Rwanda où il a travaillé pendant un an « dans plusieurs camps de réfugiés au sein de l'équipe de la Croix-Rouge »  fête Noël dans sa famille au Québec. Le déséquilibre entre l'extrême pauvreté et l'abondance l'agresse...

Cela serait impossible de citer les nombreux textes qui parcourent le livre, en font un objet de papier contenant les regrets, les nostalgies, les bonheurs qui, variablement, gèrent nos humeurs. Se faufile entre chaque histoire, un brin de fantaisie nécessaire à la respiration alourdie par des drames qui ont blessé autrui ou brisé des hommes et des femmes ne demandant qu'une parcelle de bonheur dont chacun a droit et besoin. Une nouvelle qu'on a particulièrement aimée, sensuelle et fêtant le mouvement corporel, s'intitule Les pas du désir. Un danseur en herbe fait son apprentissage avec « la grande Carla d'Espagne, la déesse du ballet flamenco. » Il se souvient de ce qu'elle a représenté pour lui durant sa carrière. Inspiratrice du désir qu'insuffle le jeu du corps, elle fera naître chez le « jeune artiste » des frustrations sexuelles qu'elle ne comblera jamais. Envoûté  par le lyrisme qui anime sa partenaire, il deviendra à son tour, un magicien de la danse. On a apprécié que le recueil se ferme sur des fous rires, sur des étoiles à rallumer, une chanson ramenant un soupçon d'espoir chez madame Clara. Sur Élie qui, au grand dam de sa famille, a décidé de franchir le pas de la matérialité pour se consacrer à sa véritable passion : la musique...

Nouvelles à la fois troubles et limpides que le lecteur déguste. Des sentiments contradictoires les traversent comme tout ce qui est humain. Nous sortons de là réconfortés, nous disant que nous ne sommes pas seuls à subir la pesanteur outrageante des calamités qui forgent les nœuds gordiens de notre existence. L'écriture débarrassée de ses fioritures, nous porte vers l'essence même des mots que Claudine Paquet utilise avec une élégance sobre, nous propulsant vers un temps ordinaire : celui de tous les dangers, mais aussi de toutes les consolations.

  
Entends-tu ce que je tais ? Claudine Paquet
Guy Saint-Jean Éditeur Inc., Laval, 2009, 133 pages