lundi 19 novembre 2007

De la planète Terre au cosmos


Un «écrivain reconnu», Jérôme Letendre, s'indigne qu'un «vieux critique», Gilbert Tracemot, ne lui décerne que quatre étoiles et demie chaque fois qu'il publie un roman à succès. Il voudrait tellement la note parfaite, soit cinq étoiles. Ce même écrivain est amoureux fou de Mira, une ex-junkie qu'il a sortie de l'enfer de la drogue et de la prostitution, avec qui il vit depuis quinze ans. L'histoire serait simple et humaine si Jérôme Letendre n'était pas un obsédé sexuel, un maniaque de la plume, un passionné d'étoiles ; un homme qui cherche un sens à sa vie et à ses livres. Il doute jusqu'au délire de l'amour de sa compagne, de l'amitié de ses amis. Une jalousie maladive le taraude au point de s'inventer un monde imaginaire habité d'une non moins imaginaire extraterrestre : Stella Porrima, flanquée de ses deux nains monstrueux, Algol et Logla.

À partir de ces considérations romanesques, l'intrigue va se dérouler dans une bulle illusoire qui n'est autre que la moitié d'étoile manquant au prestige de l'écrivain Jérôme Letendre. L'étrangeté et l'originalité du thème, c'est d'observer cet homme, exigeant, insatisfait, se mouvoir dans ses pérégrinations intergalactiques, se heurter à ses interrogations métaphysiques, se blesser à l'amour confus de ses compagnes, Mira et Stella. Jérôme Letendre déambule entre deux mondes violents, entre deux femmes insoumises. L'impression demeure que dans la vie de cet écrivain tout se trame en double. Endroit et envers de son existence terrestre et cosmique dont il a besoin pour alimenter son désir de vivre et d'écrire. Déambulations peu reposantes pendant lesquelles l'auteur, Pierre Tourangeau, s'applique savamment à nous questionner sur la condition de notre rôle d'humain, en même temps qu'il nous fait part de son immense savoir en astronomie. Nous sommes des ignorants malgré notre capacité à concevoir des mondes possibles, des situations imprévisibles, des événements improbables. Au fond de nous, nous occultons ce qui nous dérange.

Il faut dire aussi que Mira, devenue photographe, est l'antithèse de Stella Porrima. Sans rien ôter à sa beauté provocante et sensuelle, elle n'est que tendresse et douceur, tolérance et compréhension envers son compagnon qui s'avère un forcené d'égoïsme. Stella Porrima, qui a revêtu une écorce charnelle pour se manifester auprès de l'écrivain l'entraîne sans ménagement dans des univers bouillonnants où toujours la question se pose : sommes-nous mortels ou éternels ? Maelströms redoutables où Jérôme Letendre est confronté à sa petitesse d'humain. Stella Porrima, contrairement à Mira, est cette femme frigide qui procrée des «rejetons» dont les pères inexistants proviendraient de plusieurs galaxies. Cependant, l'image de la mère, attentive aux excès de l'écrivain, ne serait pas Stella mais Mira qui, enceinte d'un premier enfant, console son «fou d'amour» de ses angoisses existentielles et créatrices en le berçant constamment dans ses bras.

C'est un roman aux multiples facettes que nous offre Pierre Tourangeau. Un érotisme ambigu, incestueux, emplit cette histoire dans laquelle aucune question n'est jamais résolue. La violence ne manque pas dans ce destin d'homme trop entier qui paiera très cher son manque de confiance en ses semblables. Ne resteront à la fin de ce drame que Mira et Stella Porrima confondues l'une en l'autre, Mira ayant été assassinée par l'éditeur de Jérôme Letendre, dont il était peut-être l'amant. Son refuge dans la folie et dans la solitude de sa moitié d'étoile ne s'avère qu'une représentation du cosmos réduit à sa plus simple expression. D'ailleurs, Jérôme Letendre trop tard s'en rend compte quand il affirme que le cosmos est «beaucoup plus petit qu'on ne l'imagine» ; il est prisonnier d'un réel qui n'existe qu'en lui-même.

À lire pour en apprendre davantage sur ces univers soupçonnés infiniment petits que Pierre Tourangeau nous dépeint dans un style infiniment grand. Mais aussi pour mesurer les grains de sable que nous sommes face aux galaxies démesurées encombrant le cosmos.



La moitié d'étoile, Pierre Tourangeau,
XYZ éditeur, 2007, 262 pages