mardi 23 octobre 2007

Viscères et artères d'une ville


Troisième roman de Joseph Bunkoczy, Ville de chien se situe hors du temps, hors de nos repères habituels. Une ville est livrée à la convoitise de quatre personnages qui vont se battre pour et contre elle, jusqu'à la mort. La ville ici est soumise aux humeurs de ses habitants, divisée qu'elle est en plusieurs quartiers. Il y a le quartier moderne où résident Viktor K. Hernyo, promoteur véreux à qui la ville appartient en grande partie, sa fille adoptive Cécilia Titanium, Arnold Grub, éminence grise de Victor K. Hernyo qui, dans son fauteuil d'infirme, épie les mouvements respiratoires de la ville à partir d'écrans de surveillance. Dans un quartier ancien et historique, dernier bastion à conquérir, va et vient le jeune Otto Prime, vêtu de cuir, bardé de chaînes. Entre ces quatre individus, le drame va se jouer, impitoyable. Le métro souterrain en sera le décor fatal. Malgré le modernisme de cette histoire, un je-ne-sais-quoi shakespearien flotte dans le déroulement de cette tragédie urbaine. On a affaire à des êtres qui ne peuvent se libérer de l'emprise fascinante de la ville, chacun se promenant à loisir, tant dans ses rues et avenues que dans ses entrailles menaçantes ou rassurantes, comme des gens se réfugient dans des abris en temps de guerre. Seul Viktor K. Hernyo, enfermé dans les hauteurs de l'édifice d'où il gouverne, manigance des plans pour s'emparer du dernier quartier qui lui résiste, celui que la famille d'Otto Prime détient depuis deux siècles. Entre le jeune homme et Titanium, dite Tita, va se tisser une inévitable rengaine amoureuse que nous dépeint l'auteur avec des touches érotiques, adoucissant ainsi la froide logique qui se dégage de ce canevas humain. C'est à croire que la ville, viscères et artères de béton et de métal, se défend elle-même contre l'intrusion de personnages qui, soi-disant, veulent la sauver du pouvoir que chacun essaie d'exercer sur elle. Nul ne voulant admettre que toute ville est vouée à la décrépitude du temps, à l'agonie puis à la mort des êtres. Toute ville, quand ce n'est pas un être humain - ici Titanium -, s'avère la proie de la solitude qui finit par «la dévorer par petits morceaux infimes.»

Si cette histoire, marquée par l'originalité de sa thématique, s'inscrit dans une morale universelle, elle n'en est pas moins personnelle, chacun des protagonistes mesurant enfin, mais trop tard, à quel point le pouvoir, sous toutes ses formes, est vain et stérile. Le jeune Otto Prime se rendra compte de son insuffisance absurde quand, au moment de mourir, seul le visage de Tita lui apparaîtra «éclairé par une lueur solaire de plus en plus intense.» D'ailleurs, pour appuyer son propos, Joseph Bunkoczy nous cite quelques extraits du livre L'Art de la guerre, signé Sun Tzu. Roman inclassable comme le sont les deux précédents de cet auteur, La Tour et Temps mou, publiés aux défuntes éditions Trait d'Union. À lire pour l'atmosphère dépaysante que procure cet ouvrage.

Il n'empêche que ce roman aurait mérité un travail éditorial plus rigoureux, une mise en page plus soignée. Le lecteur se serait aussi abstenu de plusieurs coquilles grammaticales.

Dans la même veine, je signale le recueil de nouvelles de Joseph Bunkoczy, Des nouvelles de l'Univers, publié sur le site américain lulu.com


Ville de chien, Joseph Bunkoczy.
Triptyque, 2007, 205 pages.